La Dolce Vita – Fellini


Ces imperfections laissent supposer que le film est à considérer comme une œuvre transitoire, de celle où l’artiste se cherche afin de conquérir de nouvelles terres d’inspirations et de créations. De création, il en sera effectivement question dans son film suivant, considéré comme son plus grand, 8 ½.

 


Marcello, journaliste autant que paparazzi (terme par ailleurs inventé depuis la sortie du film, du nom d’un des journaliste appelé Paparazzo), est à l’affût de ragots pour sa revue. Ses virées dans Rome vont l’amener à découvrir les recoins de la faune de la capitale Italienne.
________


“Ce sentiment d’émerveillement, de stupeur ravie, d’incrédulité que l’on éprouve devant les créatures exceptionnelles comme la girafe, l’éléphant, le baobab”, Fellini raconte l’avoir ressenti lorsqu’il rencontre pour la première fois Anita Ekberg. Il prétend de plus qu’elle est “phosphorescente”. Qualificatif bien fellinien dans son exagération et sa poésie, mais ô combien pertinent au souvenir des images qui se sont imprimées dans notre rétine. Anita flamboyante de blancheur dans sa robe noire, paumée du petit matin dans la fontaine de Trévi, ou déguisée en cardinal sur la terrasse de Saint-Pierre (énorme scandale à L’Osservatore Romano, le journal du Vatican, on parlera de brûler le négatif, de retirer son passeport à Fellini…).



Anita Ekberg est Sylvia, la star, personnage fellinien emblématique, à la fois ange, mère et démon au milieu d’une Rome en pleine déliquescence, dont le cœur faisandé bat sur quelques centaines de mètres, la courbe de la via Veneto. Et dont la nuit est scandée par des fêtes où se pressent faune interlope, vedettes en toc et aristocratie rescapée du fascisme. Faux miracles, faux intellos, vraie débauche, vraie dépravation, perversion, décadence et bacchanales en tous genres sous les flashes des paparazzi. En contrepoint, le mal de vivre de Marcello le journaliste, homme faible, porté par les événements, sans prise sur sa vie, abandonné par ceux qui comptent un peu pour lui (son meilleur ami se suicide, son père est victime d’une crise cardiaque dans les bras d’une prostituée) jusqu’à l’inoubliable dernière scène par un matin blême sur la plage d’Ostie. Image d’espoir et de réconciliation ou image de regret et de jamais plus ? Fellini laisse la porte ouverte à toutes les interprétations en attardant sa caméra sur un visage de jeune fille à la pure beauté botticellienne.
Radioscopie d’une époque en perdition, loin d’emboucher les trompettes moralisatrices (évidemment Fellini ne serait plus Fellini s’il entrait dans ce jeu-là), La dolce vita est un constat désenchanté, fébrile et bourré d’inquiétude. Un film gueule de bois, lucide et dérangeant. La mort est là, en trame omniprésente, le temps qui passe et le questionnement sur le sens de l’existence sous-entendus en permanence. En dehors du décryptage que chacun peut en faire, cette fresque d’une vie qui n’est douce que par euphémisme restera dans l’histoire du septième art comme le film de maturité de Fellini, celui où il inaugure et maîtrise – avec quel brio – le langage si personnel qui sera désormais sa marque de fabrique. Scénario destructuré, perfection du noir et blanc, scènes d’anthologie, outrances contrôlées, beauté formelle éblouissante, sans oublier la musique lancinante de Nino Rota. Du très grand cinéma.

_________
Federico Fellini est un cinéaste quasi-religieux. Les nuits de Cabiria et surtout Il Bidone témoignaient à la fois de son goût pour la satire et sa fascination vis-à-vis de la religion. A ce propos, il est amusant de noter à quel point Fellini pose le décor et les enjeux du film dès l’ouverture de celui-ci : on y voit une statue représentant le Christ, rattachée à un hélicoptère, volant au dessus et s’éloignant progressivement de la capitale Italienne. La Dolce Vita est à l’image de cette statue : Fellini va d’emblée se distancer de tout ce qui fondait son cinéma jusqu’alors en remettant en cause et la société dans laquelle il vit et sa manière d’appréhender le cinéma.
Le cinéma de Fellini n’a jamais rien raconté, ou si peu. La Dolce Vita, un de ses films les plus célèbres avec 8 1/2, ne déroge pas à la règle. Fellini nous offre d’emblée de suivre les facéties et extravagances du personnage principal de son film. En effet, Marcello, incarné avec toujours autant d’intériorité et de minimalisme par Marcello Mastroianni, se déplace dans l’espace comme le spectateur qui découvre le film. Ceci est d’autant plus frappant que son métier de journalisme lui impose d’être constamment aux aguets, à l’affût du moindre détail croustillant.




Le film, tout comme Roma par exemple, n’offre point de rattachement possible au spectateur, point de personnages sur lequel ce dernier pourrait s’identifier tant Fellini aime nous mener par le bout du nez dans son labyrinthe cinématographique. Le film peut donc logiquement être considéré comme une espèce de voyage dans le Rome actuel, voyage ponctué selon les moments du film par la musique (visible à l’écran par l’entremise de musiciens jouant de leurs instruments), qu’elle soit rock, Jazz ou bien de Chambre.
C’est à n’en point douter le sentiment d’égarement que ressent le spectateur à la vision du film qui est à l’origine du scandale qu’il a provoqué. Si certains ont clamé à l’époque queLa Dolce Vita était un film sur la débauche, nul doute que les détracteurs du film se sont sentis gênés par la maîtrise de Fellini, et ce peut-être de façon inconsciente. Mais cette forme très éclatée ne fait en fait que refléter un fond et un propos en totale adéquation avec la mise en scène. Comment ne pas voir en La Dolce Vita une dénonciation du fascisme, du figement de la société Italienne de l’époque? : La Dolce Vita appartient à la catégorie de film qui tentent de nous prendre par la main pour nous emmener sur des terrains inconnus; au risque de laisser nombres de spectateurs sur le bord de la route. Film audacieux, cette qualité peut se révéler être par instants un défaut : car oui, La Dolce Vita, tantôt fascine, intrigue, ennuie.



La Dolce Vita ressemble donc à un disque que l’on connaît par cœur ou bien à un recueil photo de sa famille. Un objet dans lequel on aime se perdre, s’aventurer même si l’on en connaît beaucoup de détails (parfois anthologiques). Le DVD semble avoir été crée pour voir des films comme celui-ci sortir sur ce format. Le chapitrage du film épouse brillamment les courbures scénaristiques du film, le spectateur pouvant s’y aventurer comme il l’entend.
Un film que l’on peut donc voir à son gré, revoir certaines scènes sans ordre particulier, celles que l’on aime. Bref, en faisant un montage personnel, en créant sa propre Dolce Vita.


________





Extrait, La fontaine: Pour expliquer la scène qui va être en Ita sous titré Ang, c’est Marcello le journaliste qui se voit se mettre a chercher du lait pour un chaton trouvé par Sylvia, Star Montante. Quand il revient, il la trouve en train de faire trempette dans la fontaine de Trevi

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire