Le Choc des Titans {1981}=-




C’est au scénariste Beverly Cross que nous devons l’idée de porter à l’écran les aventures mythologiques de Persée, une idée qui germa en 1969, alors qu’il résidait en Grèce. En toute logique, il se tourna vers Charles Schneer et Ray Harryhausen, le duo à l’origine du splendide Jason et les Argonautes. Le récit commence lorsque le roi Acrisios fait jeter à la mer, enfermés dans un cercueil, sa fille Danaé et Persée, l’enfant qu’elle a eu de Zeus. Celui-ci ordonne à Poséidon de les sauver, et de libérer le Kraken, Titan des mers, pour qu’il détruise Argos, la patrie d’Acrisios.

Danaé et Persée échouent sur l’île de Sériphos. Vingt ans plus tard, Zeus transporte Persée à Jappa : il doit reconquérir Argos. Il dispose pour cela du bouclier d’Athéna, d’un casque qui le rend invisible et d’une épée indestructible. A Jappa, il tombe amoureux de la princesse Andromède, frappée d’une terrible malédiction. Pour la libérer, il doit poursuivre un vautour géant, vaincre Calibos, le diabolique fils de Thétis, dompter le cheval ailé Pégase, éliminer le chien bicéphale Dioskylos, affronter les sorcières du Styx, lutter contre deux scorpions géants et combattre la terrifiante Méduse au regard pétrifiant, avant un ultime affrontement avec le Kraken.






Même si Jason et les Argonautes demeure l’incontournable référence en matière de film mythologique, ce Choc des Titans submerge ses spectateurs ébahis de scènes anthologiques et de créatures délirantes : le Kraken, un reptile humanoïde aux traits simiesques doté de quatre bras tentaculaires qui ne doit  rien à la mythologie grecque mais plutôt aux légendes nordiques, Calibos, le démon interprété par une figurine animée dans les plans larges et l’acteur Neil McCarthy dans les gros plans, le sinistre vautour géant, le magnifique Pégase, le robotique Bubo, l’agressif Dioskilos… Et bien sûr Méduse, dont l’apparition constitue le clou du film, en une séquence extraordinaire nimbée d’une photographie rougeoyante somptueuse. « L’une de nos grandes références était la photographie des films noirs des années 40 avec Joan Crawford, comme Le Roman de Mildred Pierce, qui jouait beaucoup avec les ombres et avec les éclairages très directionnels », nous raconte Harryhausen. (1)

Persuadé que la présence d’une star ou deux donnerait au film une dimension plus grande que les précédentes productions de Schneer et Harryhausen, Beverly Cross n’y alla pas par quatre chemins et proposa à rien moins que Laurence Olivier le rôle de Zeus. Et celui-ci accepta ! Suivirent Maggie (Professeur McGonagall )Smith en Thétis, Claire Bloom en Héra et Ursula Andress en Aphrodite. Ce dernier choix est plein de symbole, puisque la belle Ursula fit ses débuts à l’écran dans James Bond contre Dr No en émergeant des flots comme la Venus de Boticcelli. La joie de retrouver les vieilles gloires d’Hollywood dans le rôle des dieux de l’Olympe se mêle à celle d’assister aux derniers exploits d’Harryhausen qui signait là ses adieux au cinéma. Le charme kitsch du Choc des Titans s’accordant mal avec le SF high-tech de L’Empire Contre-Attaque, c’est une page du cinéma merveilleux qui se tourna alors, pour laisser place à d’autres magiciens du septième art.



Photo : CLASH OF THE TITANS (LE CHOC DES TITANS)


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C’est dès 1969 que le scénariste Beverley Cross (qui a travaillé plusieurs fois avec le tandem formé par le producteur Charles H. Schneer et le concepteur d’effets spéciaux Ray Harryhausen : JASON ET LES ARGONAUTES et SINBAD ET L’OEIL DU TIGRE) a l’idée de transposer au cinéma les légendes de la mythologie grecque rattachées au personnage de Persée. L’idée semble excellente pour un film mettant en vedette les trucages de Harryhausen, mais celui-ci va d’abord se consacrer à deux nouveaux Sinbad : LE VOYAGE FANTASTIQUE DE SINBAD et SINBAD ET L’OEIL DU TIGRE. La machine se met néanmoins en marche à partir du milieu des années 70.

La firme Columbia, partenaire traditionnelle des projets de Schneer et Harryhausen depuis LE MONSTRE VIENT DE LA MER, le premier projet commun des deux hommes, n’est pas très intéressée par cette histoire mythologique. C’est finalement la MGM qui accepte avec enthousiasme de soutenir LE CHOC DES TITANS, en lui accordant un budget de superproduction, le plus gros jamais mis à la disposition de Harryhausen :15 millions de dollars ; pour comparaison, L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE, sorti aussi en 1981, en a coûté dix-huit. Le tournage se déroule en Méditerranée (Espagne, Italie et Malte) et aux studios Pinewood de Londres au cours de l’été 1979 ; puis les séquences d’effets spéciaux sont ensuite réalisées dans l’atelier de Ray Harryhausen durant… 18 mois !



Photo : CLASH OF THE TITANS (LE CHOC DES TITANS)


La réalisation du CHOC DES TITANS est confiée au britannique Desmond Davis. Celui-ci a commencé sa carrière comme opérateur, notamment pour certains films fantastiques, tels THE GIANT BEHEMOTHd’Eugene Lourie ou THE TROLLENBERG TERRORproduit par Baker et Berman. Il devint réalisateur en s’inscrivant dans le courant britannique du free cinéma au début des années 1960, qui se situait dans la mouvance de la Nouvelle Vague française : il réalise ainsi LA FILLE AUX YEUX VERTS ouL’ONCLE au début de cette décennie. Mais la crise du cinéma britannique au début des années 1970 le condamne à travailler pour la télévision. LE CHOC DES TITANS aurait pu faire rebondir sa carrière cinématographique, mais il n’en fut rien, et il retourna assez vite travailler pour la télévision anglaise.

Beverley Cross a du se livrer à un travail d’écriture d’une grande complexité pour fournir un scénario suffisamment solide d’une part et permettant à Harryhausen de déployer sont talent mythique de créateur de monstres d’autre part. Pour mieux l’appréhender, voici les grandes lignes de la légende de Persée. Un devin annonce à Acrisios, roi d’Argos, que son petit-fils le tuera. Or, Danaé, la fille d’Acrisios, n’a pas encore eu d’enfant. L’homme, bien décidé à empêcher la prophétie de se concrétiser, décide d’enfermer Danaé dans une tour. Mais Zeus repère la jeune fille, qu’il trouve fort à son goût, et se glisse à ses côtés en traversant les barreaux de sa geôle sous la forme d’une pluie d’or. Il s’ensuit la naissance de Persée. Danaé et son fils sont alors jetés à la mer, dans un coffre, par Acrisios. La mère et l’enfant sont néanmoins recueillis par le roi Polydecte sur l’île de Sériphe. Plus tard, ce roi demande à Persée de lui ramener la tête de Méduse, la plus dangereuse des trois gorgones : en effet, cette femme, dont la chevelure est un grouillement de serpents vivants, possède un regard qui change aussitôt en pierre quiconque le croise… Désireux de prouver sa reconnaissance à Polydecte, Persée accepte : il bénéficiera néanmoins du concours des Dieux dans son entreprise. Après avoir affronté et vaincu les trois Grées (trois horribles et cruelles vieilles sorcières qui ont la particularité de n’avoir qu’un œil pour elles trois), il parvient à décapiter Méduse dans son sommeil. Mais lorsqu’il rentre à Sériphe, il comprend que Polydecte l’a en fait envoyé accomplir cette mission afin de l’éloigner : ce roi ne souhaite que profiter de Danaé, qui doit se réfugier dans un temple pour échapper à ses ardeurs insistantes. A l’aide de la tête de Méduse, dont le regard a toujours les mêmes pouvoirs magiques, Persée change en pierre Polydecte.


Photo : CLASH OF THE TITANS (LE CHOC DES TITANS)


Persée connaîtra ensuite d’autres aventures : ainsi il se rend dans le royaume de Céphée, où la Reine Cassiopé s’est montrée odieuse aux Dieux en déclarant que la beauté de sa fille Andromède était supérieure à celle d’Héra, l’épouse de Zeus. Le pays est alors ravagé par des tempêtes déclenchées par Poséidon. Le courroux divin ne sera apaisé que si Andromède est livrée en pâture à un horrible monstre marin qui rôde le long des côtes de la région. Pourtant, au moment du sacrifice, Persée intervient et tue le monstre. Il épouse alors Andromède. Ayant tout pour être heureux, il décide de retourner sur Argos pour se réconcilier avec son grand-père Polydecte. Mais celui-ci, toujours terrifié par la prophétie, se cache. Au cours d’un concours de lancer du disque, c’est bien Persée qui tuera son grand-père, par accident…

La légende de Persée avait déjà été portée à l’écran auparavant dans un péplum mythologique italien de 1963 : PERSÉE L’INVINCIBLE d’Alberto De Martino, avec Richard Harrison dans le rôle-titre. C’est néanmoins un personnage qui a été bien moins souvent transposé à l’écran que certains de ses collègues, comme Ulysse (ULYSSE avec Kirk Douglas…), Hercule (LES TRAVAUX D’HERCULEavec Steve Reeves…), ou même Jason (JASON ET LES ARGONAUTES de Don Chaffey, bien sûr…). Il n’en est pourtant pas de même pour son plus fameux adversaire, la terrifiante Méduse, qui a bien souvent eu droit aux honneurs du grand écran, que ce soit au sein d’oeuvres poétiques (MALPERTUIS de Harry Kumel…), de péplums bien sûr (LES TITANS de Duccio Tessari…), voire même, avec THE GORGON, dans un film d’épouvante Hammer réalisé par Terence Fisher. Mais pour plus de détails, on se reportera au “Ze Craignos Monsters, Le Re-Retour” de Jean-Pierre Putters, qui dédie un chapitre à cette créature légendaire.


Photo : CLASH OF THE TITANS (LE CHOC DES TITANS)


Cross et Harryhausen aménagent largement la légende de Persée. Il n’est plus guère question de la prophétie qui annonce la mort de Polydecte, bien que Danaé et son fils soient bien jetés à la mer. Surtout, la première partie du film met en scène le personnage de Calibos (inspiré par Caliban, de LA TEMPÊTE de Shakespeare), fils de la déesse Thétis, et qui, disgracié par Zeus après avoir massacré le troupeau divin des chevaux volants, est devenu un être hideux, mi-homme mi-bête. Andromède, qui lui était promise, refuse désormais de l’épouser. Calibos exige dès lors que les nouveaux prétendants d’Andromède, avant de pouvoir l’épouser, répondent à une énigme de son invention. Toute cette partie est en fait inspirée par LE COMPAGNON DE ROUTE, un conte d’Andersen, dans lequel un méchant sorcier fait peser une malédiction semblable sur une jeune princesse. De son côté, la seconde partie du CHOC DES TITANS mêle de façon fort astucieuse l’épisode de la quête de la tête de Méduse à celui de la libération d’Andromède condamnée à être dévorée par un monstre marin.

La structure du récit sert avant tout à mettre en valeur les créatures inspirées à Ray Harryhausen par la mythologie antique. Comme souvent, c’est avec un certain génie qu’il enrichit visuellement ces mythes, grâce à sa propre imagination. Ainsi, chez lui, Méduse se retrouve pourvue d’une queue de serpent à sonnette. Le monstre marin, devient un Kraken (monstre en fait issu du folklore du nord de l’Europe, et non de la mythologie grecque), dont le haut du corps rappelle fortement l’extra-terrestre créé par Harryhausen pour A DES MILLIONS DE KILOMÈTRES DE LA TERRE de Nathan Juran. La première partie du CHOC DES TITANS permet de créer un vautour géant et Calibos, qui sont en fait des inventions de Harryhausen, sans lien avec la mythologie. Les apparitions superbes de Pégase, le cheval ailé, sont certainement des clous du film : toutefois, dans les légendes grecques, cet animal magique est censé surgir du sang de la Méduse fraîchement décapitée ; il n’en est rien ici, bien que sa réapparition à la fin du film, lorsque Pégase bondit hors de l’océan à l’endroit précis où Persée vient de jeter la tête de Méduse, semble renvoyer à cette métamorphose. Par contre, du sang de cette Gorgone surgissent trois affreux scorpions géants qui vont donner bien du fil à retordre à Persée.


Photo : CLASH OF THE TITANS (LE CHOC DES TITANS)


Le passage le plus réussi du CHOC DES TITANSest certainement l’expédition sur la sinistre île de la mort, située en lisière des enfers. Après avoir traversé le Styx à bord de la barque de Caron, Persée et ses hommes débarquent sur cet îlot sinistre où ils rencontrent d’abord Dioskilos, un chien bicéphale inspiré par Cerbère, le gardien des enfers : cette séquence a été tournée sur le site archéologique de Paestum, en Italie, dans les ruines de temples bâtis par des colons grecs pendant l’Antiquité ; c’était d’ailleurs au même endroit qu’avait été filmée la fameuse séquence des harpies dans JASON ET LES ARGONAUTES. Puis Persée affronte Méduse, dans une splendide séquence horrifique située dans un lugubre sanctuaire souterrain, dont Mario Bava n’aurait pas renié les éclairages expressionnistes.

Comme toujours, on admire la beauté et le raffinement du détail des modèles construits avec un soin inouï par Harryhausen, particulièrement le superbe Pégase ou la très expressive Méduse. L’animation est d’une fluidité absolument impeccable tandis que les interactions entre les créatures animées image par image et les acteurs sont absolument sidérantes. Hélas tout cela est un peu gâché dans certaines séquences par des problèmes de variations de contrastes ou de granulation entre plusieurs éléments de certains plans et de certaines scènes.


Photo : CLASH OF THE TITANS (LE CHOC DES TITANS)


Encore une fois, au-delà du récit d’aventures,Harryhausen et Cross proposent une approche pertinente de la mythologie antique. Le monde des mortels est soumis aux comportements capricieux des Dieux, pourvus de défauts tout à fait humains. Si parfois ils se font passer pour justicier, leurs actes sont aussi marqués parfois par un favoritisme trop magnanime, ou par une sévérité trop impitoyable. Ainsi, les destins de Méduse (changée en monstre à cause de la jalousie de Héra) ou de Calibos (puni sans aucune pitié par Zeus) sont en fait pathétiques. La scène de l’enlèvement d’Andromède est à ce titre admirable d’intelligence : si Calibos se montre impitoyable, il ne fait que calquer son comportement sur celui que les dieux ont eu envers lui.

Si LE CHOC DES TITANS est indéniablement une grande réussite du tandem Schneer/Harryhausen, il a aussi le triste privilège d’être le dernier de la série de films merveilleux qu’ils ont consacrés au fantastique. En effet, on dit que Harryhausen travailla ensuite sur le projet d’un nouveau Sinbad, mais concrètement, rien de neuf n’est sorti de ses ateliers magiques depuis 1981. Harryhausen avouait avoir pris sa retraite en partie parce qu’il ne se sentait plus à l’aise avec la façon dont on gère les trucages aujourd’hui. Maître-artisan passionné et consciencieux, il ne se voit pas à la tête d’une vaste entreprise d’effets spéciaux où il ne serait plus qu’un donneur d’ordres assis derrière un bureau. Toutefois, il a récemment été annoncé qu’il avait terminé un film d’animation, inspiré parLE LIÈVRE ET LA TORTUE de La Fontaine, démarré dans les années 50 et dont la première devrait avoir lieu à Los Angeles en décembre 2002.

Il n’en reste pas moins que, fort de ce statut de “dernier Harryhausen”, LE CHOC DES TITANS se voit toujours avec une certaine mélancolie. La belle conclusion de ce métrage, au cours de laquelle Zeus inscrit pour l’éternité les figures de Persée, Pégase et leurs amis dans les étoiles, paraît, rétrospectivement, trahir une nostalgie d’un temps mythique où la réalité et le fantastique étaient mêlés inextricablement. Dès lors, LE CHOC DES TITANSévoque avant tout un bouleversant adieu aux héros et aux légendes.

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